Elle, savait ce qu'était vivre auprès d'un jeune adolescent paré à recevoir de tout son être un chien, de lui livrer en pâture l'entièreté de son domaine.
Une mère a-t-elle vraiment le choix devant pareille nature de situation ? Elle qui, enfant aux huit printemps, aima de tout son cœur élever des petites poules chinoises.
Lui, avait connu l'impôt d'un chien sur les parents par l'instance et la force domestiques de la chose sororale.
Fléau des Eaux & Forêts, de Hez au Moncel en passant par Halatte, enfer d'Ermenonville, croix de Verberie, furie des hauts-plateaux aux maïs coupés, dragon des chênaies, hallucination sur pattes des écureuils angoisseux, matricule éventé dans le brulis d'anamnèses des gardes magistrats de la Grande Vénerie, il se souvenait des courses dans les bois avec cette chasseresse de berger au pelage noir qui pistait les chevreuils à trois cents mètres, délogeait les lièvres des champs de leur gîte de neige, manquait de peu le col des bécasses du bois sacré de Pont, oiseaux rares, comme l'or dans le lit de l'Oise, qui s'envolaient en tout point conformes à la description canonique qu'en faisaient les livres, désorbitant l'œil d'un cyclone béat de rosée hors la cave du zig pour mieux pocher celui plus veineux fusant depuis le vestibule d'un reste d'aube au verre bombé qui n'appartient qu'au zag, plumée d'une sanguine par les punches et les cuts, directs droite-gauche, d'une allée à peine ouverte dans la finesse de son éclat de lumière, et la broussaille des impavides frissons de son papier.
Se repaissait des lourdes peintures de guerre puisées au creuset de l'épatement des glaises vivacement plastiques de la soue des sangliers, se roulait dans les gélules de bran bleu-vert lâchées par des pigeons gras très fidèlement sylvestres.
Qui, de retour en son jardin, après un bain lustral forcé effaceur des traces du sauvage, blessée de s'être vue Narcisse giflé par un blaireau jaloux des entrées secrètes à son terrier, pelait les chats des voisins trépasseurs de frontières sans s'épargner les rafles des épis de leurs griffes profondes, égorgeait, groin de sang épépineur de piquants, à la tombée de la nuit les malheureux hérissons en apnée dans leur hibernation qu'il avait fait en sorte d'accueillir, décimait les moineaux à l'époque encore nos hôtes par centaines, déjouait les mascarades du boitillement de comédie des géniteurs merles et merlettes au désespoir de sauver les rejetons, encore luisants de l'albumine coagulée sur leur duvet, d'une portée condamnée.
Lorsqu'il devait parler d'elle, il ne se défaussait pas exactement et disait qu'elle savait ménager, turbide Urbi (peut-être tout de même aussi le résidu d'un bonheur né de l'avoir rendue à son maximus orbis, la forêt ceinturant le bois des Côtes), des moments d'aristocratique douceur, instants qu'elle semblait octroyer -- en essuyant quelques regrets, en partie souverainement feints, dans les reflets des regards venant de, ou dus à, chacun -- pour la gloire bien comprise, l'estime de soi, et, il l'accorderait maintenant, le complet ravissement des autres membres du foyer.
Pleine de tendresse lorsque, convalescente au sortir d'un accident sur la plage de Fort-Mahon, elle se laissait réparer avec reconnaissance, le bassin brisé en dix morceaux par la grosse roue d'un tracteur de pêcheur vers lequel elle n'avait pu s'empêcher de foncer les babines filées de sable et de sel. Combien de découvertes de repères d'animaux de la forêt ne fit-il avec elle, cygnes muets sur les étangs glacés de Sacy, laie pourchassée, par des trappeurs armés de Beretta Magnum canons superposés tenus à l'horizontal près de la hanche, laie roulant dans ses longs soupirs de boeuf dont ils coupèrent ensemble la sente de gagnage, transfigurée ligne de fuite qui les fit vivre passagers de la battue d'une atypique sensation de panique dans les roseaux. Ne faire qu'un avec elle, savoir les départs des la mentaux de son diapason intime qui les feraient pénétrer le territoire de l'émerveillement, comme l'après-midi où ils levèrent ensemble les yeux vers un vol de grues tanchô au calot rouge vermillon, la fois où sans l'apercevoir elle posa la patte sur une couleuvre germant d'un nuage de feuilles, dans le volume du sol d'un jeune automne...
Qu'était-il pour dénier les sentiments d'un enfant sur le point de construire déjà tout d'une limpide compagnie ?
Promesses de suivre les soins nécessaires, de savoir ôter un dard de guêpe fiché sous l'oeil, de manier la pompe à venin et le tire-tique au creux de la fourrure, un monde, toujours aujourd'hui incompréhensible à ses yeux, naissait devant eux.
Il leur dit que les chiens reconnaissent les expressions faciales des humains et savent faire la part de centaines de mots parlés, sont sensibles à nos émotions et mettraient tout en œuvre pour calquer les leurs aux nôtres lorsqu'ils en éprouvent l'envie, qu'ils ont une mémoire spatiale, qu'ils discriminent les calculs simples, _ ôhla, jeune homme, comme tu y vas, es-tu certain que cela soit propre aux seuls chiens ?
Quelle importance, puisqu'ils sont capables de définir tout un champ de représentations sensorielles, que, visuellement, ils sont aussi fortiches que les busards Saint-Martin du marais.
Ce qu'il a vu dans le film de Anderson le conforte dans sa passion, l'hallucination verte et bleue des choses de leur vie lui font dire que les chiens empruntent beaucoup au monde sensible des Japonais, qui refusent la distinction entre les deux couleurs.
(Il est né au Japon.)
_ Ton chien peut tomber malade, devenir aveugle, souffrir d'un cancer (dans le film de Solondz, il semblerait qu'il aspire à lui la maladie de solitude de sa dernière maîtresse).
_ Je le soignerai ! Demain et dans dix ans. Il faut juste faire attention à sa gueule remplie quelquefois de virus ou de bactéries. Les scientifiques iront bientôt pénétrer jusqu'au fond du cerveau des chiens au moyen des techniques de l'imagerie neuronale, j'ai lu qu'elle sera non-invasive, et qu'ils ne souffriront pas !.. Je lui jouerai de la batterie et des airs au piano pour qu'il s'habitue.