jeudi 30 juillet 2015

Les Cahiers de Ligugé

409_ The Great Garçon

Tard le soir, premier jet, sans ratures
À [Elena]
On a peint en bleu les vitres des gares,
distribué parfois des masques à gaz,
creusé des tranchées à l'Observatoire,
les avions sont cloîtrés dans leurs bases.
Les gens calmes vont jusqu'à paraître hilares.
D'un haut La Paz négatif Gamelin
fit du fort de Vincennes un souterrain.

Lu une partie de la nuit les notes réunies en cahiers qui deviendront Mémoires de Maurice Garçon.
Pu capter ce matin la dernière demi-heure de la conférence de stage d'un jeune universitaire du peuple à la radio, sur les Nouveaux philosophes.
Étranges fréquences de réceptions qui mêlèrent leurs jeux d'émissions dans ce que je lus hier et entendis à l'instant.
Mon antenne intérieure crépitait-elle encore des légers bruits de spires qu'elle avait laissées s'apostant
calcinées dans la grille en nid d'abeille qui servait de châssis à deux malheureuses bobines en catastrophe
comme prises dans l'étau, digne d'un beffroi, de solides abat-sons ?
Si le professeur en ondes de chaire semblait se faire l'avocat
de tout ce que le post-modernisme avait mis au banc de la société,
l'avocat, dans un parfait sommeil d'os de philosophe, faisait barrage de son âme et de son corps
à la progression du borborygme à visage humain, qu'aucun effet d'aile de papillon dans l'espace nycthémère jamais à rebours ne révoqua.
Ce jeune juriste de station s'offre toujours le don de redécouvrir Revel à chaque fois qu'il tacle l'homme à la blanche chemise, au vent colletée,
repassant cent fois le fer sur les pans du métier de la pensée de grande couture de Bernard-Henri Lévy pour en effacer les plis, vaporiser toutes les traces de lueurs saintes sur un suaire taché de grossiers anti-totalitaires anticorps.
Pas assez de fond, tout dans la forme,
on croyait entendre l'un des tenants du Manifeste du Remodernism.
Celui qui se défend de penser en rond fustige dans ses notes cette néo-positiviste façon
de plaisamment dévoiler les choses lorsqu'il analyse, juste avant la Drôle de guerre et son immobile maelström,
le discours apaisant de Daladier, homme habitué à camoufler le fond derrière les hoquets d'un accent méridional plein de hachures saignées de glouglous qu'on rencontre d'habitude, nous signale Lautréamont, chez les pélécaniformes.
Son manque de mise en forme, bredouillement respiratoire, sa presque brédissure, loin de mettre en avant sa légitime résolution, et la justesse de propos d'un noble représentant d'une république parlementaire,
ne pouvait par contraste que donner du volume à la parole des dictateurs hérauts du mensonge éhontément adapté.
La preuve nous en serait donnée par Staline, le parabolique menteur professionnel, lorsque ses larbins iraient le chercher dans sa chambre le 26 juin 1941 pour en faire l'exécuteur testamentaire
d'une Russie impériale soudainement réhabilitée dans les appartements de ses paramètres et les coursives des hypertextes de son langage d'antan habilement rescripté.
Seul Churchill pourra naviguer de la voix jusqu'au Cap Silencieux des amers de la vérité, comme la plume d'un médecin russe oscillait dans les tremblements des forêts de Sakhaline.

Tard le soir, sans ratures et d'un seul jet,
comme un Huysmans
en route sur la voie,
écrire ses cahiers de Ligugé.
Horst et graben, micas roses plein les doigts,
sédiments littéraires, notes au jugé,
failles des Pierres Brunes sur le chemin,
paroxysme tectonique de l'écrivain.

Discussion :
Tous les sens de sa Téhessef déréglés, Maurice Garçon, laissant Maître Onfray, vénéré Bitard, à son auditoire captif fait de mille Saint-Loup rencontrant mille Bloch dans la bergerie des serrements de mains au fantôme de la philosophie trouvée puis reperdue dans la langueur d'onde de l'éternel retour d'un même plan séquence, se roulait sans aucune complaisance sous les phares d'un examen critique qu'il s'amusait à orienter radical, quitte à ce que sa lumière brûlât mentalement les manuscrits, systèmes racinaires à peine inscrits, jetés, papiers sucés de petites flammèches, sur les traverses de sa pensée.
A force de souffrances émises par le labeur d'écriture et le mal de donner naissance à son livre sur l'éloquence (une esthétique qu'il n'estimait pas), quelque chose d'un argon rare de l'esprit se comprima au passage d'un pont, qui lui fit plus loin sur la terre percer ce mur qui sépare les écrivants des écrivains pour le dire comme un critique littéraire, secrètement de nous tous le préféré (bien que le style de Garçon montre aussi que cette perforation lustrale, qui a tout pour devenir un poncif soumis à son propre effet de site, reste invisible suture d'arçon dans l'ébranlement de sa faille crustale.)

Extrait :
Tout va mal dans ce vaste immeuble [L'Hôtel Continental].
Dès le premier jour, Giraudoux s'est laissé déborder.
Où il faudrait un secrétaire, il y en a dix.
Chaque sénateur et chaque député a casé là deux ou trois protégés.
On parle de la vaillance française devant l'ennemi !
On ne saurait croire combien le Continental en est un exemple.
Ils tiennent là-dedans avec un magnifique entrain.
Rien ne pourrait les déloger. Tous les assauts venus du dehors se brisent...Ils restent fermes et forts.
Tout cela pour aboutir aux misérables commentaires qui sont la honte de notre pays et que, sur un ton sentencieux, lisent quatre ou cinq fois par jour à la radio des messieurs prétentieux.
On fait de la littérature.
On discute à perte de vue sur des idées sottes. C'est pitoyable.
Je suis sorti de ce vaste bordel un peu découragé.
Garçon, comme Léon Werth au même moment, mémorise pour nous la drôle d'ataraxie déjà camouflée sous les draps d'un affairement qui a tout d'une occupation (au sens mondain premier) qui tourne à vide, comme si le pays, dont les divisions comptaient déjà leurs restes, toujours orphelin du combat capital, se trouvait par anticipation envahi par une torpeur qui le fourrait de l'intérieur.
Cela n'avait sans doute rien à voir avec les manigances d'un Friedrich Grimm mais procédait plutôt de la nature des uns et des autres, Français de l'époque.
Le Continental n'ayant rien à envier à l'Athénée-Palace que décrivit avec tant d'aplomb et de lucidité Rosie Waldeck lors de son séjour, parallèle dans le temps, entre ses murs au milieu des meubles en teck, à Bucarest.


Tout cela pour aboutir aux misérables commentaires
 qui sont la honte de notre pays et que, sur un ton sentencieux, 
lisent quatre ou cinq fois par jour à la radio
 des messieurs prétentieux.
On fait de la littérature. (M.G.)


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