samedi 29 mars 2014

Au bonheur des âmes d'Annie et Richard, coeurs de flammes

316__Lorsque Madame Arnaud de Cergy arriva sur le parking des autobiographies, deux ouvriers venaient d'appliquer un nouveau dessin sur les anciennes traces des égards où l'on rangeait habituellement les sentiments de sa vie. Les emplacements s'étaient vus élargis et les traits blancs doublés qui surlignaient les pacages chevauchaient les tracés redevenus sauvages, abandonnés par le rythme nouveau de ce décalage. Ce néo-surfaçage montrait encore la marque d'un badigeon fait à la crème de bitume qui masquait au noir l'antique ligne unique. Deux cônes oranges routiers de l'autofiction pris à la signalétique des romans en travaux forçaient l'attention que l'aventure était fraîche, et la station interdite pour quelques instants fantômes volés à la célèbre Cité de la décadente Cathay. La plumée d'un genre de silence coulé dans la transparence de l'ombre verte tombée des vieux chênes historiques survivants de l'ancienne forêt se suspendait par l'épique dans la chaleur des embranchements de l'allée. Tout chez madame Arnaud respirait l'été. Certains jugeaient le paysage emprunté au scénographe du parking Cora de Saint-Maximin du département de l'Oise. Les voitures qui s'avançaient se pesaient toutes seules dans la balance des périlleux mérites et des petites combines propres aux circonstances éditoriales de repérage des proies habituelles (le bon à stationner), dans un souffle de moteur au ralenti sur le chemin de ces ligneuses tropiques tranchées vives dans le bois domestique de l'horizon où la pale assourdie d'un autre aujourd'hui vibrait dans l'invisible, chacun constatait que les manoeuvres pour jouir d'une heure ou deux de sain égarement ne requéraient pas moins d'adresse, tous les sens marchands étaient convoqués en majesté pour ce "petit garé" qui commandait le droit d'exercer l'achéenne pulsion d'offrir un peu d'essence à son moi décharné en manque de victuailles, affamé de l'amour d'autrui, éperdu de croisements de regards et de convergence morale. Quelque chose dans l'air vainquait la paresse. Madame Arnaud, aînée des enfants de Cergy, n'était pas sans rechercher pour la énième fois son Achate.

Monsieur Mallet-Priam de Viam vint en vélo. Bien qu'il fût d'accord avec à peu près tout ce qu'écrivit Philippe Muray, jamais il ne sut plier le bronze de sa volonté qui l'aurait fait piffer sa personne. Conduire une voiture fut commettre le plus simple des actes murayiste, lui qui s'était remis à aimer les combustions des véhicules thermiques par pure volonté de détonner sur l'entourage, et de moquer les gens de la Mairie de Paris assis sur le trône de leur serre écologique dans le confort et le ménage d'un bizarre hors-sol politique. Mallet-P. de V. se résolut alors au 'deux-roues', à "montre-coeur", ne désirant pas cacher qu'il en avait gros sur la pédale et qu'à l'horloge de ses heures habitait le cyclone d'un gigantesque orage intérieur. Le vélo, pathétique cheval. C'est par ce moyen de locomotion qu'il atteignit le centre commercial du nord-ouest de la capitale près de Pontoise où résida jadis le point nodal de l'échange des marchandises. Il eut soif et faim, lui aussi est homme des Troie modernes, de ceux qui demeurent sans cesser de quêter l'amitié des femmes des rois de loi grecque et d'éthique romaine. Sa langue pendante exhalait avec gourmandise une haleine d'Enée proche de caresser les peaux blanches des aînées des Hélène en toute franchise tant il les aima dans l'antre du faucon de la nuit ventrue de rêves allogènes et clandestins.

Annie Arnaud de Cergy venait de trouver un espace libre dans lequel s'enfonçait sa Mini Pacman Johnny Cooper Works gris glacier. La stridence mate des plips de la fermeture des portières et hayon secouait de cliquetis pneumatiques le nerf du silence qui mordait le bâillon. Les roulettes d'un caddie tout alu emmenaient la pièce en plastique glissée dans le verrou de la barre de direction vers l'entrée du grand amphi de la circulation de l'argent. Elle avait à la lèvre inférieure la voile d'un sourire marin, les gommes de 225 sur les jantes de 19 donnaient à sa voiture une allure d'orque, même à l'arrêt la cage de Faraday de sa biographie gardait l'insolant panache du squelette de l'autographe d'un grand écrivain caché depuis des siècles dans un tiroir auquel son inventeur ré-insufflerait vie à la sortie miraculeuse du secrétaire oublié derrière un miroir dans un grenier. Elle pénétrait dans le hall d'un pas ferme qu'elle pouvait rendre lent et et animal à force de maîtrise de soi dans les embruns des tempêtes de calmes plats sur la mer des certitudes.

Personne ne daigna jeter un regard de curiosité sur l'étrange monture légère à l'émulsion de bois qu'il bricola avec les fibres 3 D des tubes du cadre carbone de son engin. Le cheval feint ne fit pas recette. L'humour courtois resta vain. Les guetteurs de la sécurité n'eurent aucun appétit de suspicion malsaine, son bike sentait trop le bon pain pour ne pas être honnête. Sa bombe tri-dimensionnelle connut une explosion trop fixe, rivée sur le ventre mou de son ombre à l'âme de Zeppelin. Pas de gestes effrayants sur les murs faits au fusain.
Richard Mallet-Priam de Viam mit une roue dans la fente, composa le code à quatre chiffres, pouce sur le cadenas de l'antivol, prit à la main son cabas blanc, et marcha vers les baies revolver de l'entrée de verre. La splendide méditérranéènne qui le précéda d'une demi-minute portait un foulard noir avec un bandeau bleu roi à fils d'or, il lui vit les yeux fuir et se dit qu'il n'avait pas sucé de sorbet aux lèvres de chatte depuis longtemps. Il pénétra dans le magasin.

(la suite après le changement d'aurore.)