mercredi 11 décembre 2013

L'éclatement du temps au Sénégal



277_ J'étais éperdument heureux dans ma cellule,
tant que j'en avais mal.
Solesme n'était pas Pigalle,
et les beaux soucis, qui dans nos vraies vies pullulent,
avaient tu leur fanal.
Je comptais par cents les silencieuses libellules
et ressentais durement l'absence des cigales,
plus de cris, aucun Yule,
à mon coeur manquait les battements des festivals.
J'avais envie de soul.
Ètait-il temps de partir pour le Sénégal ?
Une amie d'équitation m'offrait le voyage.
La joie de l'accompagner décupla mon mal,
j'en avais marre d'être devenu cet enfant sage,
et plus qu'assez d'exposer un fier Zen égal.
Je saisissais donc la perche qui m'était tendue,
et rejoignais en avion les rives du lac Rose.
Les circonstances étaient idoines et d'un beau rendu,
ses pétales oublieraient le temps de la nécrose,
le galop du soleil les emporterait nus.
Elle sur son fin étalon, moi sur ma jument,
ridions de nos sabots les champs halophiles,
et zébrions l'écume qui vibrait sur l'estran.
Les fîmes à deux se baigner en plein minuit pile,
lissant leur poil fumant afin qu'il soit luisant
sous l'angle exact et puissant de la lune sessile.
Nous dormîmes quelques heures légères dans les dunes ponces,
la nuit enduit les corps de beurre de karité,
et n'eûmes pas à souffrir de froid l'instant d'une once,
le lac Rebta est connu pour cette vérité.
Nos chevaux purent reposer du sommeil des onces,
panthères dont l'oeil fonce lorsqu'elles peuvent enfin rêver.
À notre réveil les éboueurs étaient passés,
tout comme les beachcombers, ils n'avaient rien laissé,
la plage déserte, vidée de ses crustacés,
semblait terrassée par le retour inopiné
d'un étrange Crétacé.
Son air supérieur nous fit refluer vers l'hôtel.
En chemin, mon amie et moi nous perdîmes.
Malgré le renfort des sémaphores et poubelles,
les repères se brouillèrent jusqu'au plus profond intime,
rendirent impossible de se faire ensemble la belle.
Elle quitta seule les rivages du Sénégal,
sachant en son for que je devais être vivant,
ou pas assez mort encore pour voguer vers l'aval
d'une vie au cours somme toute plutôt banal avant
qu'elle ne m'invite à galoper avec elle au grand bal
des airs, des eaux et des sables du beau Sine confluant.