lundi 14 octobre 2013

Au senestre Cioran et au dextre Morgan




259__«Sans l'idée du suicide, je me serais tué depuis longtemps.»
Sans la pratique intensive, toujours impromptue, du petit suicide sérial, je me me serais précipité, flash instinctif, dans la mort violente depuis longtemps, pourrait offrir une variante moins virulente à cette démonstration d'ironie qui nous enferme dans sa virole en un seul coup d'enclume. Avec Cioran, nous sommes souvent enterrés vivants dans l'antre où se ferrent les oeuvres fumantes de sa forge anthume.
Le petit feu consumant les micro-accidents de la vie de tous les jours se met en quatre pour nous faire accepter survivre aux rebonds corrompus de la subsomption des événements qui balisent nos parcours terrestres. Sans lui nous cavalerions naseaux les premiers vers la sortie, c'est à dire la mort et l'énormité bavarde de son rire édenté, à l'entrée de l'équarrisseur mordant de sa mâchoire qui broie le noir et le blanc du hasard à bon droit mais toujours à senestre.
- Se cracher un noyau de cerise dans le gros orteil du pied, sous les treilles ou la tonnelle à la saison des fruits rouges.
- Se tirer, imbécile heureux, un bouchon de champagne dans le septum nasal, à l'endroit malheureux où le cartilage bouge.
- S'enfoncer une baguette dans l'oeil pendant qu'on dévore son riz gluant, à l'heure du passage furtif de la miss météo de BFM tv qui projette en ombre chinoise sur la carte de France sa douce géographie mammaire.
- Se couper l'index au niveau de la phalange proximale au moment d'essuyer la vaisselle, le verre que vous pressiez trop fort avec le torchon éclate en un morceau tranchant qui fait jaillir le sang en geyser.
- Se faire une entorse au poignet gauche le matin aux aurores, à la sortie d'une marche arrière où votre main s'est retrouvée prise dans la torsion d'un volant rendu fou par la tangence sèche d'un dé-braquage fait trop près de la barrière.
- Se voir exploser à la figure le puissant jet d'eau de l'excès de pression d'un toilette public, à l'instant où vous chassiez les traces de votre propre arrosage.
- Ne pas s'être senti frôlé par le reflet du sourire que vous avez eu vers votre aimée, ni rien se passer à l'ombre de son visage,
sont des exemples, parmi cent mille autres, qui font renvoyer aux calendes grecques le souci, tardif à jamais, de supprimer sa vie cher à Cioran. Le nombre réel à la racine de cette théorie du suicide morganatique, que j'appellerais "senestre", n'est pas situé pour rien à l'exact opposé de celui de la dextre pratique du serial killer Morgan, l'avide policier de Miami qui tue savamment les méchants avec l'humour acide de ceux qui manient le dosage de tous les cyanures de l'ironie cioranique comme une seconde nature.
Dixit Morgan Dexter dans le sans-suite de la saison actuellement en fuite :
"Si je ne tuais pas pour de vrai depuis longtemps, peut-être aurais-je caressé l'idée fausse du suicide."