mercredi 21 novembre 2012


181__Un jour un jeune garçon futur écrivain, se retrouva derrière Georges Opaque à Garnier, fauteuil d’orchestre fantôme numéro trente-deux, rang vingt-et-un. C’était pour une représentation du Vaisseau de Wagner, une presqu’histoire de spectre, encore une, bien que ce ne fût plus la guerre, on frissonnait toujours sous la canule de fer de son froid éther. Nous étions le 21 novembre 1962 — tiens, il y a pile cinquante ans, comme l’Otan passe — , le jeune parisien, appelons-le Pierre (vous ne saurez pas si c’est un nom d’emprunt, une couverture, dans l’absolu je préfère m’en tenir au semis tranquille d’un hémi-anonymat, il nous faut clore, de la voix secrète, le degré d'aperture), ne put rien voir de la mise en scène car l’opacité émanant du double-spectateur comme assis pour six devant lui diffusait ses rayons d’une façon bien trop efficace pour qu’il en allât autrement. Dans l’urgence il pensa interpeller fort vocalement la patiente audience réunie en demi-cercle, oppressant conclave, autour de lui pour s’enquérir de la présence d’un vitrier dans l’assistance, mais la puissance de dissuasion de l'autoclave silence régnant eut beau jeu de dissoudre cette petite envie d'audace, instantanément, dans le fumé du verre d'une faible dissidence. Comme c’était pire qu’une femme à chapeau mise-là pour substantivement énerver un capitaine garant d'H dans le théâtre d’un album d’RG, il en prit son parti et se mit à s’amuser, animé de l’esprit discrètement moqueur des enfants venant de mettre au jour le noyau dérobé d’une situation ad-hoc qui jouit de se laisser gouverner par l’humour, de la silhouette du gros oeuf stabile, meublée dans l'huile figée, devant lui, sans apparent mobile.
Soudain, alors que l’acte III vient à peine de commencer, Georges Opaque appareille brusquement et, son siège resté vissé sous le séant, s’envole dans un invisible bruit de plumes d’oiseau nocturne vers le plafond béant, silencieux comme une neutrinale bombe, le sillage des rectrices n’émettant ni brou d’ondes ni vibrations d'ombres, ne dessinant rien sur les murs de l'opératique thurne, pour filer à l’hollandaise, duvet de cendres dans l'urne, non sans frôler la tête du jeune Pierre, pourtant sans effroi sous cette vive effraie de fusain. Seul un mince flux d’air chassé de fraîcheur vient lui caresser la joue de la diagonale d'un rhombe.
« Adieu, ne vous enquérez pas de moi, my sweet and gentle boy. Mon sort à venir n’appartient plus qu’à moi et à Dieu » lui lance-t-il dans un souffle avant de gagner le bolchoï escalier qui mène vers les ouïes de la sortie au mince hall de marbre.
Petit-Pierre, n’écoutant que son oracle, le saisit à demain, estomaqué puis fasciné par cette vision, que seul il avait pu capter sur son radar de biographe du futur et du passé, se jette à sa poursuite, cavalant sur les pas du Mazeppa volant, dans une forêt de colonnes plantées en futaies, dans la pénombre, comme des arbres.
Il eut le temps de voir l’étrange oiseau (bien qu'il fût venu avec la Dauphine couleur taupe de sa femme, qu'il avait laissé sur place, sur le siège délectable de la morte que l'inquiétude raffine) se détourner du chemin du parking pour s’engouffrer dans la bouche de métro creusée judicieusement en face du palais de la Dance des sons et de la Musique des mots -- dont il déjoue toutes les oies --, éclairée par les feux de la nuit mate filée du suif du noir oubli qui paraffine le sens du toucher au coeur de la flamme ; « il y a ceux qui aiment l’Opéra, ceux qui aiment l’opéra, mais aussi, et surtout, ceux des opaques fantômes qui préfèrent la station de métro au même opératoire nom binôme, les petits rats comme les gras, ceux qui fuient habillés d'un drap, vitalement, du seuil de leur alpha capital jusque vers le vasistas de leur minuscule oméga », commenta un jour le général de Gaulle qui avait l’oreille grande, le long nez creux et fin, et dont l'odorat tint toujours les premiers rôles.