C'était il y a un peu plus de vingt ans, il gagnait la surface vers 18 heures, hiver comme été de cette année-là, par le petit escalier étroit de la Rambuteau, dans l'éclaté de 19 minutes écorchées depuis la caserne, le temps pouvait être compté (il espérait coffrer trois séances de ciné avant de rentrer à l'héliport ou de se résigner à l'hospitalité offerte rue de Lévis par sa sœur), mais il raffolait s'arrêter devant la vitrine aux bonbons de la librairie Marissal derrière un grand mausolée à mate pantomime aortique rouge-bleutée et sa vaisselle de tuyaux, de tubes, discrètement expansive dans la mousse du ciel du Marais et les échanges gazeux des aires célestes de Paris.
S'y arrêter, avant fusion souterraine dans les boyaux des salles obscures, pénétrer, et trouver place idéale pour se raccommoder à la littérature, domaine salement cantonné au survivalisme de la doctrine surréaliste pendant ses études.
Il aimait ce prénom composé, Georges-Arthur, voir écrit cet ensemble à cinq syllabes qui faisait bien le vide sur l'étal de présentation, seul endroit aux tables et meubles dédiés qu'il ne retrouva jamais plus admissibles ailleurs qu'en ce lieu, sous l'auvent de cette enseigne.
Les livres étaient superbement chers, l'une des hôtesses l'aspirait à la caisse, queue de cheval typique de la blonde des sables de Lübeck, observait ses clients du haut de son estrade, perchoir admirable pour voir s'écouler, dans le sens orthodoxe de la gravité, l'encre des chèques, la bleuissure des numéros secrets des cartes, tableau des chiffres non encore protégés par de fins capots en fer blanc.
Persuadé que l'auteur était jeune, heureux de gambader par avance dans le champ gras et rassasiant des trèfles de l'écriture contemporaine, ne l'ayant jamais vu à la télévision, car Chancel ou Pivot, démons espiègles impunis à ce jour, se démenaient pour l'inviter en plateau alors qu'une catastrophe météorologique millénaire ou simplement rare s'était déclarée, karmatique résolution qui empêchait à chaque fois l'entrevue de se tenir, l'impossible direct tuant à son effet de foehn l'improbable différé, il ne le découvrit qu'à l'instant où quelqu'un décidait d'escamoter à nouveau d'un revers de main le couvercle scellant la vapeur biographique d'un poète de Todtnauberg.
Le grand français d'Allemagne ne pouvait supporter que la critique rétamât l'ignoble inox du chaudron de ce philosophe de la perdition minérale en osant utiliser les marteaux toriques de la discussion canonique ou normative.
Lecteur du philosophe des orées noires comme de Jünger, il ne prit que plus à cœur d'entrer dans ses livres dont le style le retint tout de suite, une écriture de ruisseau, rattrapant le maigre des mots les bras nus dans les eaux hiémales des canaux d'un robuste récit, chipant les mouches de la précision à la barbule de la gueule du bar vorace, un graphe de Risle, dernier affluent d'un long chemin des lettres, généreux pour les temples aquifères, doux à la nappe de craie, une force capable de tout dessiner des courants témoins de la gloire du fleuve sculptural, signataire des éclats d'ivoire des lumières de la Baie.
Un jour dans le couloir d'une grande maison il aurait pu lui parler, mais au moment du croisement, les premiers pas avancés, il l'avait vu tanguer de la tête, d'avant en arrière, de gauche à droite très perceptiblement vers lui, sous l'empire d'une nette et simple abjecte objection, piquée par les yeux, hâtée par les lèvres, un refus presque virginal.
Etait-il l'effigie d'un ancien élève honni, la figure d'une poire qui lui revenait dans le visage comme un couteau ?
Il n'avait jamais de chance avec les écrivains qui passent.
Klaus et Golo, en montrant la dureté des eaux nourricières paternelles, nous permirent d'esquisser l'homme vrai, magnifiquement sérieux, l'attention tournée vers son travail de composition, génie tranquille plein des réserves d'air capturées à l'étage sherpa du haut humour, gravant ses lettres au plus profond de la chair de l'art d'écrire des grands anciens.
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