lundi 11 juillet 2016

Uma lembrança de tudo

La plume qui le fit arriver sur l'aile du Prix Camões de 2011
Ao Poeta Manuel Antònio

CAFE DE MOLHE

Perguntavas-me
(ou talvez não tenhas sido
tu, mas sò a ti
naquele tempo eu ouvia)
porquê a poesia,
e não outra coisa qualquer :
a filosofia, o futbol, alguma mulher ?
Eu não sabia
que a resposta estava
numa certa estrofe de 
um certo poema de
Frei Luis de Léon que Poe
(acho que era Poe)
conhecia de cor,
em castelhano e tudo.
Porém se o soubesse
de pouco me teria
então servido, ou de nada.
Porque estavas inclinada
de um modo tão perfeito
sobre a mesa
e o meu coração batia
tão infundadamente no teu peito
sob a tua blusa acesa
que tudo o que soubesse não o saberia.
Hoje sei : escrevo
contra aquilo de que me lembro,
essa tarde parada, por exemplo.
Manuel Antònio Pina (2000)


CAFÉ DU MÔLE

Toutes questions bues, Tel Peer Gynt,
tu me demandais, assidue, tenace,
non pour m'ahurir (peut-être, mais sans aucune menace),
A Snarky Hunt,
(à supposer que ce ne fût pas
toi, alors que vers toi seule,
à la racine des masséters de ton sourire,
se tournait le pavillon de mon oreille)
pourquoi la poésie,
et pas autre chose :
la philosophie, le football, la femme de quelque cause ?
Je ne savais pas, hors alogie,
que la réponse tenait
dans une certaine strophe
d'un poème de l'exacte étoffe
de Fray Luis de Léon que Poe
(achoppe mon souvenir, n'était-ce point Poe ?)
connaissait par coeur,
en castillan, mémoire jusque sous la peau.
Soubassée l'aporie du proême
n'avais-je donc rien terri
ou si peu, que je m'en contentais.
En ce temps-là, rien ne mentait
lorsque, buste aux clins innés,
tu te penchais, à la manière d'une Parfaite
sur la table
ce qu'à mon cœur tu féris
jusqu'à le fondre inconsidéré 
comme débauche de fête un jour de Têt
alors qu'il se réfugie 
sous ton corsage, à son foyer inoubliable
que tout ce que je sus jadis ce cœur savoir jamais ne le saurais.
Aujourd'hui je sais : j'écris
contre ce que je me souviens être tombé dans le dernier décri,
l'équilibre de cette pause vespérale, par exemple, "em pessoa", impérial rescrit.


À peine versés des lointains, le salon de télévision rejoint à point nommé pour le match, ils préférèrent pitonner, sans hâte envers le Stade des Grands Hommes de l'élément football, sur France 5 et les images d'une Normandie braquée sur ses Aubracs d'albâtre et ses manoirs sans angles, ronds comme les colombiers intermittents des connexions de jadis, bulbes au soma de minarets, miniatures positives remontés du puits d'une mine de briques soufies, seuils d'orthodoxie de la taille des églises de demain. Cela leur fit du bien.
Ils ne virent rien du fauchage du Roi Deniz par le seigneur Jehan d'Ango, borbotela ou traça sur le visage de Ronaldo ?
Si les papillons nocturnes voulurent rejouer le mythe stonien de l'hommage au guitariste noyé dans sa piscine remplie d'herbes des nuits, ils gagnèrent la partie. L'antre aux allures de Hyde Park des Princes de Saint-Denis montrait ce soir-là vrai beau jeu de Hide and Seek de la part des artistes. Des gaz nobles comme l'hélium farcissaient les ballons du passé, s'échappaient de leur resserre. Un sentiment de déjà-vu, comme disent les longs armoricains de l'au-delà, pendillait dans l'air. 
Quaresma avec sa contrefaçon faciale de mafieux mexicain rançonnait tous les souffles des trajectoires, le goal ombreux de Lyon, Yachine fantôme et lévite de Perrache, dictait à Rui Patricio les coordonnées secrètes de la piste d'envol des franches hétérocères.
Il se souvint de sa rencontre avec Manuel Antònio Pina, un jour de vent de mars, Porte de Versailles. Tout faisait ventre dans cet autre salon où se bourraient les gens, comme du papier légèrement dérangé et faiblement indisposé, blancboulés, basculés encre par dessus-tête dans le tambour d'une imprimante, vol et recel d'une librairie pillée puis recouverte par les broussailles.
Il lui avait dit connaître de cor la plupart de ses poèmes, savoir sur lui leur impact.
Antònio, comme beaucoup d'écrivains portugais (y compris celui venu d'Italie), avait une profonde affection pour la France, sa littérature, ses hommes. Il lui dit qu'il ne savait pas parler notre langue mais la comprenait (et l'écrivait aussi, plutôt bien, comme il en eut la preuve).
Lui demanda s'il avait besoin d'explications, sachant les difficultés de sens cachées dans son œuvre. Avec ce qu'il faut de crânerie il lui avoua les avoir traduites dans sa tête, marmonnées pour lui, pendant la petite heure de présentation. 
__ Oui, j'ai remarqué cela, dit-il en souriant.
Il l'amène vers le modérateur venu parler du poète au public français (six personnes dans la salle, juste assez peut-être pour boucler au ballon la triplette résiduelle suspecte d'un couple d'hétéronymes égarés dans la surnature d'un espace qui temporellement ne périssait pas, flottant à la surface du carré secret d'un café de Lisbonne, par exemple).
Il voit les visages d'Esteban et Pina s'allumer d'une lueur propre à la passion lorsqu'elle s'exprime, chez les gens qui ne se rencontrent pas souvent et sont l'un pour l'autre au-delà de l'estime, passion pour la poésie, le feu de la conversation pile sur elle, détectable par les profanes, même.
Il approche des trente ans mais sont quand même étonnés qu'un gars de cet âge jusqu'ici soit venu les entendre.
Ils parlent de l'Italie, Esteban a sa grande amie qui vient de traduire tout Dante en Garnier, il lui dit bêtement que la manière d'Antònio lui rappelle un peu son style.
Manuel n'a jamais joué les professeurs ni les orientateurs, c'est au lecteur de s'y retrouver, lui, l'homme qui aime les enfants et les chats, peut-il offrir autre chose ? Les chemins de ses références sont nos buissons ardents. Peut-être serait-ce à mettre sur le bonheur d'avoir été journaliste (ils en parleront longuement plus tard, la dérivation journalistique est un clamp délicat sur la jugulaire du rédacteur, dont il faut jouer attentivement de la perfusion, fait pour prélever les glucoses du sang à la carotide de l'écrivain).
Il connaît Shakespeare par cœur et sa mémoire ne vacille pas sur Wittgenstein. Ted Hughes a l'air d'être une sorte de bosom friend pour lui.
Il ne lui dit pas que le rythme de Pessoa bat dans ses écrits, lui sait qu'il sait mais ne lui dit pas non plus.
Naquit au concelho de Sabugal, le pays d'O Rei Poeta, du Génois Manuel Pessanha, des cavernes de la Côa, des cavalcades de Ney et Masséna. Cidade de la disparition aussi, celle d'un foyer juif portugais. 
C'est de tout cela dont traite, dans la douceur la plus extrême, les poèmes d'Antònio, comment l'habitat d'un homme est aussi géographie de dépersonnalisation la plus radicale, marges, Marches, mer interne cachée, mère ombilicale dont chaque instant, mauvaiseté, bonté du présent, avec précision vers l'âme se recoupe.
Pourquoi la poésie et pas le football, en effet ?
William Silva de Carvalho est le portrait craché de Eusebio en défense centrale de l'équipe de 2016.
Il se permet de traduire le poème "Cafe de Molhe", une sorte de bistrot pessoien brise-l'âme si l'on saisit bien, mots recueillis depuis la jetée d'un grand corps célèbre. Antònio, le contraire d'un gausseur, possède un très subtil sens de retour sur lui-même, peut-être aurait-il bien pris le petit essai en français, une manière d'approcher, à coup sûr modeste soit-elle, l'amour du sérieux de l'humour qui fut le sien.
Comme font les vitres polies au sucre blond glisse à l'écran un tableau de la Phane-Sohn de Lisbonne dans un étrange léger ralenti, plan de la foule, deux filles sur les épaules de leur homme les bras soulevés dans la fine tangue de l'air, ferveur silencieuse du souffle parfait de la beauté des femmes portugaises, longs cheveux bruns, la peau blanche comme le baume d'une matité dormante sublime, l'origine du lait. Houle des seins du monde.
Le manoir d'Ango a retrouvé son calme breton. 
Manuel Antònio fait dégorger dans son poème (interprété plus haut) le bas-de-page de Poe.
C'est bien Luis de Léon que le poète bostonien cite en note de Al-Aaraaf, blague de potache ou feu nervalien, un Fray qui aimait bien Duns Scot, comme l'André de 1713 de l'ordre des Déchaussés du communisme. Ce qui n'élimine pas Teresa de Jesùs, ni Juan de la Cruz, dans une future finale, loin de-là.

Dicebamus hesterna die.
"Vivir quiero conmigo,
gozar quiero del bien que debo al cielo,
a solas, sin testigo,
libre de amor, de celo,
de odio, de esperanzas, de recelo."
(Passage de F. L.de Léon commenté par E. Poe.)

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