mardi 9 septembre 2014

Les Beaux mots blancs du Bô Màu bleu

 To Lehmin

341__Sous les bombes statiques et le napalm en gelée des romans de la rentrée littéraire, sous les plafonds et les stucs d'un ciel de lumière photo-fictive lourd de tenaces qui chaque année, sous la parure des écrivains, remettent le couvert des nuages sur leurs véritables activités, celles de chasseurs de prix, de bailleurs de palmes, épingleurs d'étoiles, bouilleurs de petits-gris, piégeurs de mirages de grives -- des trucs automatiques faits pour caresser profondément, dans le sens de la moelle, la fourrure de leurs éditeurs héréditaires --, Erick Zonka choisit hier la possibilité d'une sortie militaire hors des ces îles aux laisses de mer et aux polders artificiels plantés dans les carafons d'épaisses liqueurs de vins doux posés sur le sable au fin fond d'arrière-salles qui sentent la cuisine à l'ail interstitiel et sédimentent l'à vau-l'eau de l'à-valoir à cent sous de promesses de futurs "Au Bon beurre" imaginaires.
2014, huit septembre, dans le chas d'une brume calcaire comme l'envers de l'ovale d'une galaxie solitaire transpercé d'un pur soleil historique voguant à rebours de l'onde de ses satellites aux mille membres, dans l'air du Mont Canisy jusqu'à la terre de Strasbourg, en passant par l'aval de la Seine à Paris, s'élance le brame muet d'un bleu de four cosmogonique à effet Doppler, que peut la littérature face à ce beau ciel de cinéma, à son tour pour rehausser sa falaise et ses couleurs, mise à part la projection futile d'un pendulaire "serment de Koufra" sur le tremblant des vagues d'une nappe blanche à trous noirs de chez Drouant ?
Aux cordillères de l'aube des Annam, par les vallons des Hinterlands de ses lunes en flammes, et les vents de Khe San mordus à l'entame, Zonka suit le grand chemin de lierre du wakan tanka des images du Tonkin, décide de poser au restaurant un lapin laqué et gentiment décline goûter le moût de la sénevé que nous tendent ces ardentes calendes moutonnières.
Son téléfilm dans la jungle, c'est le journal d'un combat, le croisement du fer que cinglent les chaînes qu'on ébat, au fil banal d'un récit décordé par le calibre d'un Camus, du genre Albert, jeux pythiques de chrysalides hors cocon de la revanche, l'histoire de deux hommes libres que le feu de l'irréel étranger pétrit en une pâte unique, d'un seul corroi, mélange bobu d'une chenille noire et d'une blanche, sous l'épingle entomophile de l'ange des Ders des Ders.
André Cariou frotté à Robert Tual, c'est l'amadou et l'étincelle à l'hurlant métal qui fond à feu doux à force de fibrer une rivalité digne des oeuvres du cinéma, c'est l'Apocalypse selon santo Coppola revisitée (certains vont bien jusqu'aux régions du Mexique s'amuser à feindre l'ébriété d'un pro-consul britanno-romain), Tual, "le Tigre noir", un sergent Kurtz sensible à la toute puissance du mal, aux rappels des vieux fanions de la Légion et aux rabats de ceux des antiques noirs Pavillons, Cariou, "le Soldat blanc", colonel d'opérette du Viêt Minh condamné à siroter les toxiques anisettes du Mörder des songes, à mentir debout, comme avant lui Geoffrey Firmin l'avait fait au Bella Vista Hotel où l'on tirait le soir à bals réels derrière les rideaux des combes aspergés d'éclats de vérité rétamés au marteau par petits coups, se battent comme des lions pour écouter le bruit que fait la monnaie de la pièce de la civilisation française lorsqu'elle tombe à plat dos, sans allonge ni alèze, de l'uniforme un bouton, amulette en mélamine arrachée, dans la boue des rizières du zèle.
Entre sûrement un peu de Georges Boudarel (qui prétendra regretter d'avoir actionné les soupapes d'un moteur rendu fou par les mécanos démentiels de la Générale léniniste) chez Cariou, ce fumeux commissaire politique que les Công san et les Bô Dôi appelaient, en soufflant sur la forge à la margelle de leur rire sous cape, Dai Dông, le "Grand Est" en Han Viêt traduit au tribunal de la langue d'oïl, tant il aimait laper le sucre d'orge de paroles longues à la spume des lèvres des leaders démocratiques orientaux, Staline, Mao, Kim, l'Oncle Ho, rien que des beaux, dans les mines et les salines du Très-haut.
Pour Bô Màu, le soldat français grappu de certitudes comme est lippu le raisin blanque, en Captain Willard renversé, le Tigre noir est fauve à dompter sur le papier, un téméraire Tual à descendre de son piédestal, perche du dernier mot d'une légende en marche ou capot-tourelle d'un M 24 light tank, à ne surtout pas sacrifier à l'autel des héros, il lui faut traire ses glandes salivaires, le mener à confesse, afin qu'il ne s'échappe vers les gîtes des léopards des neiges d'hier, lui couper les invisibles tresses qui le relient encore à sa patrie, voisine de celle de Gaspard Hauser, mais à la fin de l'adresse c'est bien l'adjudant phap qui lui signe la gorge avec le morceau d'une bouteille de verre, on ne transforme pas un félin en buffle d'eau comme on liquidait au temps jadis les cordiaux dans les hanaps.
Emile Berling, guettant les grenouilles logomachiques comme le bec d'un héron, se joue, en une belle étude, du caractère du jeune Cariou. Emile, même celui de Rousseau cher aux Khmers Dò, signifie "rival" d'habitude en latin, cela veut dire tout, le type de prénom qui vous place un mec les deux pieds dans la brouille. Abraham Belega, prête un peu de la gestuelle de glaise pétrie de limaille de fer du grand prophète biblique, pas très à l'aise à l'oral, son frère Aaron formateur de la bleusaille en fut d'ailleurs presque un, de 'rival', par la froide épithète d'une lassitude résiduelle, à son Tual. Extras sont ses gestes de rappeur épique dans le grand échange de leurres verbaux, pic scellant la scène finale.
Il renvoie l'image d'un bélouga, dans la vigueur branlante d'une hyper stature, nageuse et vengeresse, issue des flots des forces navales françaises de l'époque, (les "Dinassaut", à l'abandon de toutes les mâtures, troqueuses de l'uniforme blanc-Màu pour le kaki) qui remonterait le fleuve Rouge, comme lors de l'opération "Phoque", pour trucider au trident ou à la gouge l'ancien "ami", de l'ennemi le nouveau "chéri" (ce que veut dire 'Cariou' en breton), devenu le renégat à pêcher, dont la capture est requise à mains nues, alors qu'il file comme un poisson dans les fines eaux souterraines canalisées par autant de faux-Ho Chi Minh, plus sosies que nature, changeants comme à vue le volume des petits rus commandés par Poséidon.
On entrevoit peut-être aussi nette, à l'entrebâillé d'une articulation critique, un personnage féminin à la "Ngoc Le", l'actrice qui se glissa dans la peau de la sniper Viêt du film de Kubrick, Full Metal Jacket,
flesh back sous les roquettes, le cru et le cuit de la barbaque,
la vision cavernaire de l'officier Viêt qui tend sa gourde à Laurent Theis après l'attaque, voix séchée par la traque infernale, les minutes qui décrivent la maldonne de l'exode, cavalière et stratégique sanitaire évac' du fortin de Cao Bang sur la Route 4 Coloniale, Quàn ào tang humanitaire, de la centenaire présence française à flanc de Chine, sont sourdement géniales, ne manqueraient peut-être que deux ou trois choses, les pluies diluviennes du nord-est vietnamien, la beauté des serpents ratiers du Yunnan, aux feuilles des acacias et des banians l'envol de la fumée des catéchines, le masque blond des cachous bruns, et les ombres aux visages des goumiers du onzième Tabor, ceux des colonnes Le Page et Charton, l'évocation de leur baroud d'honneur, versé volontaire, on ne sait plus pour quelle cause ou raison, aux vannes de la douzième heure, dans l'escarcelle de la mort.