mardi 16 juillet 2013

B-H L., ou L'Aventurier de l'arche de l'art perdu et retrouvé

* À nos chers lecteurs...
Avertissement.
L'auteur nous prie d'insérer ce billet d'humeur dévastateur de l'esprit qui devrait pourtant régner ici.

__En un mot comme en cent, en condensant tout l'écho, commençons par un : bravo. Les éternels contempteurs (un club auquel des circonstances parfois indépendantes de nos volontés nous font appartenir sans que l'on s'en honore plus que cela) qui ne peuvent pas voir B-H L. en peinture en seront pour leurs frais d'exposition ; son oeuvre de commissaire ne pourra être retenue contre lui qu'au risque, pour ceux qui en relèveraient d'un geste ganté de plomb le dérisoire défi, de mettre au grand jour tout un pan de territoire, que le paysage psychologique de l'être calligraphe de nos biographies tient pourtant à garder en respect, caché au fond d'un lointain tiroir de leur cabinet de géographie intime, celui sur lequel commande, en châtelaine très politique et météorologiquement correcte, la noirceur des nuages de la mauvaise foi. J'ai aimé entrer dans ce livre au-delà de ce que je pensais raisonnablement croire possible. Déjà, louons l'effort éditorial de la maison Grasset et de la Fondation Maeght dont les soins redoublés ne rendent que plus manifestes la valeur et la beauté certaine de cette publication de la "jaune" ; d'un pur point de vue qualitatif, il semblerait que le lecteur en ait diablement pour l'argent déboursé, qu'est-ce devoir se séparer de 30 € quand on voit le rendu, simplement magnifique, des images ? Battre une meilleure offre semble difficile (on ne se retrouve pas face à la Pietà de Cosme Tura tous les jours comme nous le propose si facilement le livre au maniement si fluide ; peut-être contemplons-nous l'une des dernières victoires du papier sur le numérique qui ne sera pas volée.) Ce livre n'est donc pas une pipe puisqu'il n'est pas non plus un "catalogue" ; B-H Lévy décide de nous compter les aventures qui précédèrent la survenue de l'Abenteuerlust qui présida à sa naissance. Un récit, scindé en deux parties, peut-être entrepris à la manière d'un grand Bréshit (une Genèse, un hexateuque, qui se transformera en sept "stations" dans le dernier manuscrit qu'imprimera l'exposition véritable) suivi d'un "journal" que tient l'écrivain pour nous narrer ('réciter') le scénario complexe des chemins qu'il faut prendre, et suivre jusqu'au bout des promesses de destination qu'ils annoncent, pour récolter les tableaux dans les collections privées ou les musées, une sorte de testament, d'évangile, écrit par un infatigable chasseur-cueilleur d'images pas toujours pieuses. Le style de Lévy ne déteste jamais entonner les airs que lui soufflent les trompettes de la virtuosité (il faut se résoudre à admettre l'expertise de sa plume à faire voltiger les adverbes), il adore mêler les effets de la pure oralisation à ceux d'une langue que soutient les plus rares et précieuses tournures. Nous sommes sans doute au coeur même de "l'interlocution", dernière-née d'un débat intellectuel engagé avec Badiou. C'est très difficile pour le lecteur d'en pénétrer les arcanes, tout paraît fait pour le laisser dehors, mais c'est aussi l'un de ses puissants charmes paradoxaux que de l'inviter à passer outre et à se concentrer sur l'essentiel du propos de l'ouvrage ; la peinture is here to stay, l'art sut venir à bout de la philosophie, Héraclite bat enfin Platon, les vaticinations des philosophes post-hégéliens ont définitivement bu la tasse dans le verre d'eau lunaire qu'un peintre déposa sur un parapluie pour y recueillir les micro-vagues des minuscules tempêtes qui suintaient des cerveaux de leur tête de penseurs secs noyés dans une mer aux poussières intranquilles. Magritte peut enfin revenir de vacances. On a envie de suivre B-H L. dans sa glorification du "peuple des peintres" et de son abaissement de celui des philosophes, l'ennui c'est qu'il ne se départit jamais d'un énorme appareil discursif où les mantras deleuziens fleurissent à qui mieux-mieux, concepts et percepts sont convoqués à participer aux réjouissances lors de la remise à flots de la philosophie jeu-de-motiste du pseudo-artiste Derrida, cela laisse une impression étrange. Une autre impression, plus attendue celle-là, nous fait nous rendre compte que beaucoup d'idées brassées par l'auteur ont été lues ailleurs, mais le talent de B-H L. est de leur offrir de fraîches perspectives tout en laissant de côté le formalisme critique qu'il honnit. Dans le long ruban (qui se lit avec fluidité) de son journal de 2011-2013, Lévy apparaît comme le contemporain majeur de l'histoire de l'art en train de se faire, la marche de sa vie (passionnante) semblant n'être qu'une suite d'accidents (dans tous les sens du terme) que des principes supérieurs dictés depuis on ne sait quel ciel de hasard sur-objectif auraient mis sur sa route pour larguer une fois pour toutes dans les limbes les quelques parcours malruciens qui s'avéreraient encore concurrents, qu'ils soient surréalistes, néo-lautréamontiens ou sur-néo-réalistes. Plusieurs événements font cependant penser que l'armure d'un tel chevalier se fend parfois ; c'est le sujet d'émouvantes entrées du journal, la défenestration garoustienne de son frère, la prise en mains du voile de Véronique par sa soeur-même qui se le place d'autorité sur le visage...tout cela est à découvrir par soi-même, B-H L. est aussi un homme qui marche parmi les hommes. Des tableaux et les images extraordinaires sont au rendez-vous : comment ne pas retenir son souffle devant le portrait de Breton par Nadja, la terriblement humoristique Datcha d'Arroyo et Aillaud, les oeuvres des peintres lyonnais oubliés du dix-neuvième, le dépouillement des Italiens du seizième ? Beaucoup des commentaires enserrant les tableaux de leur étau analytique qui se voudrait de velours sont souvent doublés de duvet arraché à la paraphrase, mais celle-ci n'est jamais éculée, elle s'en sort souvent par le recours au point d'interrogation, l'outil majeur de la ponctuation qui permet à un auteur de se raccrocher à la bienvenue pesanteur de la réalité, et à ne pas sombrer dans le corps de son propre texte, un puits quelque fois vertigineux. J'espère simplement que les vidéos de la fondation Maeght seront du niveau de celles de Jaubert jadis. On a jamais vraiment réussi à faire beaucoup mieux. Bravo.