jeudi 11 octobre 2012

Rouge comme le sang d'un boeuf de Chine

                                                                                


169__Aujourd’hui, vers 14h30, depuis le boulevard Haussmann où j’étais allé manger, avec des baguettes, quelques épis d’épeautre grillés sur des palettes en regardant à travers l'oeil d'un buvard trois ou quatre toiles d’un ou deux védutistes brillants, vénitiens spécialistes des ciels arbustifs bleus-mudan, je décidais de passer par la rue de Courcelles pour remonter vers mon atelier dit des « semis du destin » (et non pas « semi-clandestin » comme on l’entend parfois dans la bouche de quelques policiers parisiens mi-paresseux, mi-facétieux, allégoristes amis des coussins dit "de méthane", là où paît un peu de leur esprit.), abandonné de tous les avides dieux Lares comme de toutes celles qui m'y donnèrent festin.
C’est-là que je vis, comme pour la première fois, la Pagode de maître Loo.
Une pagode dans Paris.
Bien campée dans ses habits ocrés par le rouge de la pivoine carmin, impavidement saignée des traits vifs et ouvrés des filets de jus d'ivoire de l'olive noire de son encre dorée par le souci du sorgho. 
Cette élégante et énorme bâtisse, maquillée comme une vêture de voile d'hirondelle, vraie belle païônia, stèle médicinale, dont la façade crayeuse, presque marneuse sur les ailes, semblait absorber toutes les fines raies d’une petite pluie micacée par des éclats que l’on jurait de montmorillonite dans la poussière humidement tamisée par le souffle léger qui crisse, jusqu’à l’imperceptible, et émane des pores des puissants pans des murs sans voussures, comme une aura de briques taillées par des doigts féminins, respirait doucement, telle une forge au soufflet magnifique et lent, sans même une césure. 
On venait d’annoncer le Nobel de littérature. 
En écoutant la radio ce soir, j’y repense soudain. 
Je revois la scène pagodiale ; la porte d’entrée était close, verrouillée par un mince cadenas couleuvrin, plutôt gracile, ce déguisement de collier lui allait comme un gant au velours d'une main, mais il était bien mis-là pour dire ce qu’il avait à dire en peu de glose : « c’est fermé, ô passant, ne suspend pas ton pas, vole vers les minutes délicates de ton immédiat futur que ronge déjà le dur labeur, ne prends pas la pose, reste serein dans la vague de la lie de ton cordial, cette éternelle usure.» 
La Pagode, comme Mo Yan, ne parlait pas, le trait mince de ses lèvres finissait sa course vers la place des Ternes, même Yo Yo Ma, avec sa viole moderne, se serait-il pendu-là, sur la rue, l'une des infra-ceintures-obi de Paname, devant le portail, se prêtant à jouer pendant des heures, n’aurait pas plus obtenu de l'ombre de l'immeuble-monde, rien qui fit marquer un cerne, pas le moindre soupçon de la brise d’un minuscule sésame, pas de murmures d'outre-comble.  
Si la graisse de ce Nobel est vraiment de passeport chinois, son âme demeure française cette fois encore, sous le parquet en lames de Hongrie, l'autre patrie des filles qui rendent grâce aux volumes des fesses et des poitrails, et manifeste qu’elle ne veut point quitter Paris et sa rumeur d'ail. 
C’était le propos de Dai Sijie, avec sa petite tailleuse chinoise, celle qui paillait l'or de son roman paru chez Gallimard au milieu de l'empire du gué de l'an 2000, les beaux bâtiments, les belles filles, les bons romans, les héliceux vins blancs, les tourbilleux délices du mil, sont français, à jamais, jusqu'à l'ADN de leurs fils, et tous les docteurs Minoret de Chine et de Navare n’y peuvent mais. 
Est-ce ce que veut dire l’éloquent silence de Mo Yan, qui peut dire ? qui sait ? qui peut seulement prétendre dire ? Qui est assez courageux pour entendre le "Tais-toi !" qu'on lui lance ?